[Critique] La Horde du Contrevent: un « Phaérole » dans le ciel de la Fantasy

2004, Alain Damasio.

Plus qu’un vent de fraicheur,  un ouragan qui balaie les stéréotypes du genre : voici La Horde du Contrevent !

Synopsis

A l’origine, le Vent. Il souffle sur la Terre, de l’Extrême- Amont vers l’Extrême- Aval, et emporte tout sur son passage. Il cingle les visages et s’engouffre dans le moindre interstice.  Ce monde s’y est adapté, ses habitants ont calqué leur mode de vie sur le rythme de ce vent perpétuel.

Mais lorsqu’il balaie le monde de sa fureur, lorsque les villes qui se dressent sur son passage n’y résistent qu’à peine,  pas un homme ne peut y survivre.

Un homme, peut-être pas. Mais un groupe, bien : la Horde.

La Horde. Une élite composée de vingt-trois membres, formés dès l’enfance à contrer le vent et à le remonter, jusqu’à atteindre cet Extrême-Amont inaccessible, l’origine du vent, l’origine de tout. Aucune des trente-trois Hordes précédentes n’y est parvenue, malgré huit siècles de tentatives.

Menée par le Neuvième Golgoth,  celle-ci est, dit-on, l’ultime Horde. Celle qui pourrait aller au bout. Bloc de vingt-trois individualités mues par un désir collectif, la trente-quatrième Horde est en chemin !

Un univers axé sur le vent

La Horde du Contrevent, c’est avant tout un travail de création hallucinant. Damasio a bâti un univers d’une complexité et d’une cohérence interne jamais vue jusqu’alors. Inclassable, entre SF et Fantasy, cet univers repose entièrement sur le Vent : la société, la science, la technologie, la philosophie, le langage, TOUT est intégré dans un système de pensée, ce qui rend l’univers très réaliste et crédible. Même la forme du roman contribue à la construction de ce monde, par sa pagination inversée.

Nous avons le sentiment, non pas d’être face à une histoire imaginaire, mais face à un récit authentique.  Cette sensation est  due à l’arrière-plan du récit, fignolé dans le moindre détail. C’est comme si ce monde existait en –dehors de ce à quoi nous assistons.

Alors que d’autres récits de Fantasy ont besoin de discourir sur les lignées de rois passés et des siècles d’Histoire, Damasio parvient à créer un environnement incroyable, en ne distillant que parcimonieusement des éléments de politiques, du système,… Le plus par le moins, en somme.

C’est par la Horde, noyau du récit, que Damasio parvient à ses fins.  Plus que la simple addition de vingt-trois personnalités, c’est CE bloc de puissance, de courage, d’abnégation animé par le désir d’atteindre l’Extrême-Amont. La 34e Horde, c’est le poids des générations qui se sont succédées et ont échoué, c’est l’héritage des Ancêtres. Golgoth, Pietro, Sov, Oroshi et les autres peuvent disparaitre, la Horde, elle, est éternelle.

Un personnage, un style littéraire

La Horde, c’est vingt-trois points de vue différents auxquels sont liés des styles littéraires différents ayant une grammaire et une syntaxe propre (le texte est écrit à la première personne) : le troubadour parle en rimes et en phrases longues, quand le protecteur parle très fonctionnel, presque comme un robot. Golgoth pense et agit comme une brute ; Oroshi est très posée, très réfléchie. Chacun a ses capacités propres, et sa fonction au sein de la Horde.

On ne cesse de passer de l’un à l’autre au cours de l’aventure, que ce soit pour une longue digression, ou pour une courte pensée. Ce procédé dynamise le récit, et offre des éclairages différents à une scène qui se déroule sous nos yeux. Mais surtout, il rend vivant ce groupe, car il nous permet de connaitre les affinités des uns et des autres, de se rendre compte des conflits qui existent en son sein, et de comprendre ce qu’ils ont vécu des (dizaines d’) années durant.

Bien sûr, dans la pratique, quatre ou cinq  membres de la Horde possèdent un style aisément identifiable et monopolisent le discours. Les autres servent régulièrement d’appoints et sont moins reconnaissables. Il n’empêche, la performance est impressionnante.

Puisqu’on parle de la qualité de l’écriture, restons-y. Damasio est Français et maitrise parfaitement sa langue ! Il aime l’écriture, et il joue avec tout au long du récit. Cette maitrise technique trouve son apogée dans la scène de la joute verbale impliquant Caracole : un régal ! Mention spéciale à l’invention de tout un vocable « éolien » mêlant néologismes et astucieuses contractions. Par exemple, un phaérole est l’équivalent d’un phare… mais dans le vent.

L’intrigue: le chaud et le froid

Cette extraordinaire richesse a un prix : une complexité qui pourra peut-être en décourager  certains au début. Si le système de symbole pour représenter les personnages est astucieux, il est assez fastidieux dans un premier temps, notamment dans la scène d’ouverture.

Damasio a choisi de nous faire découvrir la Horde en plein moment de bravoure. Ca gueule dans tous les sens, ça se crêpe le chignon pour savoir ce qu’on va faire, ça pète de partout. Ce premier chapitre est pour moi un véritable tour de force, car il est une merveilleuse synthèse de la Horde, et il est représentatif de la suite du récit : là où l’auteur aurait pu écrire une saga de trois tomes  qui se serait essoufflée, il a décidé d’aller à l’essentiel.

Pour ce faire, il met en place des ellipses, parfois énormes (mais nécessaires) pour se concentrer sur son sujet. Prise de risque payante, mais qui fait malheureusement des embardées. Ainsi, Damasio a la fâcheuse habitude de recourir à ce procédé afin d’éluder des conversations ou évènements qui devraient avoir lieu, et ne les dévoiler que plus tard (de la sorte, il maintient artificiellement le suspense…). Il se permet de mettre ses personnages dans des situations fâcheuses, et puis de tout simplement ellipser la manière dont ils s’en sortent !

L’intrigue en elle-même n’est pas révolutionnaire, on peut même dire qu’elle est très basique : un groupe part aux confins du monde pour découvrir une vérité, et en vient à s’interroger sur le sens de sa quête. Cependant, ce qui est unique, c’est la réponse que donne Damasio à ces interrogations, et la profondeur des réponses qu’il donne. Damasio fait ce qui a déjà été fait, mais il va plus loin, et apporte une touche personnelle, à l’image des chrones.

La quête de la Horde est à la fois physique et métaphysique. La Horde représente un système de valeurs, un mode de vie qui repose sur l’expérience physique et les rites de passage, aujourd’hui remis en cause par les avancées technologiques. Elle cristallise le clash entre une société qu’on peut qualifier de traditionnelle et une autre de moderne.

Pour revenir à l’intrigue en elle-même, elle concentre tous les reproches que je peux faire à La Horde du Contrevent. Trop d’évènements sont trop prévisibles (sur la forme)… y compris la fin. Les derniers chapitres sont, à mes yeux, un peu décevants.

Le suspense n’est pas toujours au rendez-vous, je ne me souviens pas avoir été confronté à un élément en me disant par après « mais évidemment, il y avait plein d’indices dont je me rends compte maintenant ! ». Que du contraire, les « indices » que Damasio parsème sont gros comme navires de guerres.

Avant de terminer sur du positif, mon Coup de Gueule (avec des majuscules). L’Impardonnable à mes yeux : les Deus ex machina. Un personnage surgit de nulle part pour sauver la Horde l’espace d’un chapitre et puis disparait tout simplement du récit, sans explications ! Je ne sais pas ce qui est passé par la tête de Damasio mais c’est indigne de lui et surtout, indigne de nous, lecteurs.

Phaérole dans le ciel de la Fantasy, La Horde du Contrevent est tout simplement un chef-d’œuvre. Les quelques faiblesses de l’intrigue ne peuvent faire de l’ombre à l’expérience extraordinaire que constitue la lecture de ce roman, d’autant plus que ces faiblesses sont, en partie, dues aux risques et aux choix artistiques qu’a pris Damasio, et devant lesquels on ne peut que s’incliner.

Une profondeur, un souci du détail tant sur le fond que sur la forme, une qualité d’écriture bien au-delà des standards habituels de la Fantasy en font une œuvre incontournable, qui trône désormais au sommet de ma bibliothèque personnelle.

Nicolas

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